« La plus secrète mémoire des hommes » de Mbougar Sarr doit remporter tous les prix littéraires !
Que les choses soient claires ! Je ne suis pas fan de Yambo Ouologem à qui Mbougar Sarr dédie son grand roman. Je hais « Le Devoir de violence », parce que dans un déluge de sexe et de sang, s’y superposent les épisodes de l’oppression millénaire des Noirs par leurs propres frères, les Arabes. Et la responsabilité du Blanc dans le chaos africain ? Ce roman – tout comme « Les soleils des indépendances de Kourouma ; « Le malaise » de Chinua Achebe ; « L’âge d’or n’est pas pour demain » de Kwei Armah – relève du « politiquement correct »…
Cela dit, plus que le fond, c’est la forme qui me catapulte à la crête de l’apesanteur dans « La plus secrète mémoire des hommes », en lice quasiment pour tous les grands prix littéraires. Quel génie, ce jeune d’à peine 31 ans ! Roman homodiégétique, une symphonie, c’est un gisement de techniques et procédés littéraires. Mises en abyme. Changement de narrateur. Dislocation du temps. Niveaux de langue, etc. Sans crier gare, le gars vous entraîne d’une langue soutenue à une langue familière ou courante. Oh Tata Nzambi ! Sans crier gare, le gars change de point de vue, à la manière d’un Garcia Marquèz.
Une scène époustouflante : le narrateur – qui se lance à la recherche de l’auteur d’un livre sacré, « Le labyrinthe de l’inhumain » - se retrouve à Paris dans une chambre avec une grande écrivaine sénégalaise… Il pense à… Sharon Stone dans Basic Instinct. Splendide ! Après tout, Sharon Stone est la plus femme du monde, aux côtés de Béyoncé et Halle Berry. Je suis content que le narrateur vienne à mon secours, à moi qui déteste les clichés ou les descriptions stupides du genre « le soleil dardait ses rayons », « le front bombé », « les pommettes saillantes » ; « murmura-t-elle » ; etc.
Pour tout dire, en cette année 2021, le talent littéraire a choisi sa région : l’Afrique de l’Ouest. Outre Mbougar Sarr, il y a David Diop avec son roman « La porte du voyage sans retour » (Seuil), l’histoire d’un botaniste français qui arrive au Sénégal au moment où s’évade de ses esclavagistes une jeune femme esclave. Il y a eu en janvier le grand Théo Ananissoh du Togo avec « Perdre le corps » (Gallimard), une ode à l’amour.
Dans mon pays natal, le Congo-Brazzaville, nous ne savons que jaboter. Enfin, presque. Hormis quelques noms, nous autres bricoleurs avons été emportés par cinq folies meurtrières : la politique saignante et sanglante de Sassou, les églises dites de « réveil », la poésie (périphérique et tentaculaire à la fois), la sapologie (une caricature grossière, voire violente pour la vue, éloignée du raffinement), les tissages et les perruques (des falbalas superfétatoires). Il est urgent « d’écraser l’infâme » !
Page 21 néanmoins, un clin d’œil à « mon vieux » Tchichelle Tchivéla et au grand homme Tchicaya UTam’si. Eh oui, pour moi Tchichelle Tchivéla est un écrivain au sens noble du terme ! Hélas ! Personne ne parle vraiment de lui.
BB, le dp
PS : j’ai lu le nouveau Nsondé, « Femme du ciel et des tempêtes » (Actes Sud). Ça me pose un problème : le choix du registre didactique…